III. Démographie
 
Nous n'avons aucune source certaine de recensement antéricure à notre propre enquête. L'ancien registre paroissial, dont nous espérions beaucoup, a dû disparaître durant la guerre de 1914-18.

Les régistres officials sont, pour des raisons de politique et d'administration, soustraits à toute curiosité publique...d'où qu'elle vienne, quoi qu'elle vise...

Nous avons dû nous contenter de notre recherche sur place qui nous a permis d'établir tableau suivant des 852 âmes vivant à Hadeth en 1953.

 
Age
Garcons
Filles
Hommes maries
Femmes mariees
Veuves
Veufs
Total
H.
F.
1-5
50
47
 
 
 
 
50
47
5-10
43
45
 
 
 
 
43
45
10-15
45
38
 
 
 
 
45
38
15-20
23
24
14
19
 
 
37
43
20-25
18
31
17
17
 
1
36
48
25-30
16
23
21
20
2
 
37
45
30-35
12
6
18
24
3
1
31
33
40-45
1
1
11
17
 
1
13
18
45-50
 
 
28
21
3
3
31
24
50-55
 
 
20
25
1
2
22
26
55-60
 
 
12
13
5
2
14
18
60-65
 
 
12
10
 
1
13
10
65-70
 
 
7
4
 
4
11
4
70-75
 
 
4
1
2
5
9
3
75-80
 
 
3
1
1
2
5
2
80-85
 
 
3
1
3
1
85-90
1
1
1
2
1
223
220
184
184
19
23
430
422
 
 

Ces chiffres, matérialisés dans le graphique,1 demandent quelques éclaircissements. La population âgée de moins de 45 ans est de 643, soit 75,46% du total des habitants. Entre 35 et 45 ans, la pyramide s'étrangle fortement. Quel est le sens de ces deux faits?

Les ppersonnes â gées de 34 à 38 ans à la fin de 1952 sont celles qui sont nées pendant la première guerre mondiale, 1914-1918. Cette guerre a fait des ravages dans la population adulte de cette époque. Il n'est donc pas étonnant qu'elle ait également touché la toute premiére enfance. Les naissances n'étaient certainement pas régulières, ni garanties contre la mort immédiate. Les enfants âgés de 1 à 7 ans ont dû être emportés en majeure partie, d'où cette brèche correspondent à la population de 45 ans.

On mouirait de faim, de maladie, d'assassinat. L'on ne pouvait fuir le sort que les Turcs avaient voulu faire subir aux Libanais, particutièrement aux accuses de sympathie pour la France. Ce crime leur valait d'être privés de tout ravitaillement et de toute aide extérieure. Le souvenir de ces années de guerre fait encore la terreur de nos compatriotes.

Toutes les familles en ont souffert atrocement. Le village, à l'heure actuelle. compte encore 23 maisons en fuine dont les occupants ont disparu à cette époque. Une quarantaine de maisons se sont relevées depuis, grâce à l'effort d'un parent, d'un héritier qui a été épargné, ou d'un nouvel acheteur...Celles qui restent en ruine témoignent de ce qu'étaient les autres!

Le sommet de la figure, régulière et équilibrée, s'explique par le retour de nos émigrés, de ceux qui avaient abandonné le pays avant 1914 et avaient vécu le temps de la guerre soit en Amérique, soit en Océanie, soit en Afrique...

Le mouvement d'emgration, commencé vers 1865, avait pris de 1900 à 1910 des proportion très élevées par rapport aux chiffres de la population. Les Turcs ne s'en plaignaient nullement, voyant diminuer l'effectif des Maronites en Moyen-Orient...Car c'était surtout cette communauté qui prenait la route de l'étranger.

Une fois l'armistice signé, nos compatriotes avaient hâte de regagner leur pays. Ils espéraient y retrouver leurs parents, leurs maisons et lent vie leur d'antan! Leur retour redonne au village son aspect de petite agglomération montagnarde. Les toits rouges en tuile automatique de Marseille augmentèrent en nombre. Ces émigrés, avec les rescapés de la catastrophe, refirent l'agglomération. Ce sont leurs descendants qui forment la base de la pyramide démographique et qui constituent la jeunesse des Hadethins que nous signalions plus haut.

La partie inférieure de la pyramide est à peine entamée par quelques échancrures sans gravité.

La période qui a suivi la guerre de 1914-18 a été d'une prospérité très grande au Liban. Son souvenir éveille la nostalgie des villageois d'aujour-d'hui. La présence de la France redonnait confiance aux habitants de la montagne. La paix assurée leur permettait de cultiver leurs champs en toute tranquillité. Le retour des émigrés augmentait le nombre des résidents. De là ce supplément de jeunesse, âgée, en 1952, de 22 à 34 ans.

Quant aux petites brèches qu'on voit à la base de la pyramide, dans la population âgée de 15 à 24 ans, elles s'expliquent également par ce que nous avons avancé: cette génération doit avoir pour parents ceux qui correspondent à la brèche supérieure, celle de la guerre 14-1 8. C'est une question de nombre.

La forme rectangulaire du graphique à sa base provient de la faible, la très faible mortalité infantile. L'enfant a les mêmes chances de vie que l'adulte bien portant. Le médecin de la région affirme que ses honoraires ne s'équilibrent guère par les soins qu'exigent les enfants du premier âge...L'enfant pousse comme une plante sauvage dans un climat de campagne. Il suffit de voir des bambins jouer en petites bandes sous le soleil ardent de juin ou d'août pour s'en convaincre. Le contraste est étonnant entre les soins que prodiguent à leurs bébés les étrangers qui viennent estiver à Hadeth et le laisser aller des Hadethins vis-à-vis de leurs enfants...

Pourtant ce sont ces derniers qui ont toujours meilleure mine, bien qu'ils n'aient rien des apparences de luxe et de propreté de leurs hôtes. Ni la voiture pour enfant, ni les habits bien brodés, ni le lait aux proportions bien dosées, ni la bonne, ni la nourriture à heure fixe, ni la visite médicale, ni le berceau soyeux, rien de ce confort n'est donné à l'enfant du pauvre ou même du bourgeois moyen de Hadeth. Cependant les résultats sent très satisfaisants.

Cela nous permet d'expliquer d'une manière plus claire encore le nombre excessif des jeunes, surtout des enfants. Sur les 184 ménages de Hadeth, il y en a 156 dont les épouses ont un âge inférieur à 50 ans, àge limite de la fécondité féminine, en générale. Les enfants de moins de 15 ans sent au nombre de 268, soit 32% du total de la population. Ce fait, qui n'est qu'un instantané sur le temps, une fiction pourrait-on dire, devient moins étonnant si nous savons que le village compte:

1 famille de 14 enfants, tous vivants.
2 familles de 11 enfants, tous vivants.
6 famille de 10 enfants, tous vivants.
8 familles de 9 enfants, tous vivants
6 famille de 8 enfants, tous vivants.
4 familles de 7 enfants, tous vivants.
Et que les families de 6, 5, 4 enfants sont une majorité absolue! Un ménage, constitué depuis plusieurs années et n'ayant en qu'un on deux  enfants, souffre d'un complexe d'infériorité sociale! La stérilité couvre de honte les malheureux villageois qui en sont infligés!

Ici, sans aucun scrupule, il nous est permis de considérer la durée du mariage comme facteur de fécondité, puisque aucun moyen anticonceptionnel n'est employé. Aucun esprit de malthusianisme n'y circule. L'enfant est toujours le bienvenu. Le dixième enfant est aussi bien fêté que le premier ou le second!

Le travail manuel dans un climat sec et sain, l'absence de maladies organiques et vénériennes, la modération dans la consommation de l'alcool sont autant de facteurs qui préservent les rapports sexuels de la paresse et de la fatique en même temps qu'ils leur conservent une fréquence et une efficacité exeptionnelles jusqu'à un âge avancé des conjoints. Il faut ajouter naturellement que le manque de distractions au village contribue énormément @à prolonger la durée de la cohabitation conjugate. De là vient que les parents ont la santé, le désir et les loisirs de se faire une belle descendance.

Ajoutons, et ceci est d'une trés grande importance, que le climat social ne permet aucun dévergondage antérieur au mariage parmi les jeunes gens et les jeunes filles. Les moindres rapports équivoques suscitent des commentaires à l'échelle du village et couvrent leurs auteurs de honte et de mépris...Ceci favorise les mariages jeunes, même très jeunes, et augmente la durée de l'âge fécond de la femme, d'autant plus que la portion des jeunes occupés par des études, secondaires et supérieures, n'est pas bien grande.

Il n'y a que l'émigration qui retarde la précipitation au mariage. Il est connu que l'émigré ne se marie que tard, à l'âge de 45 ou 50 ans, après s'être fait une fortune. Il revient généralement chercher épouse au village. La facilité de la femme des pays étrangers où le climat social est plus détendu que chez lui l'effraye alors même qu'il en profite largement et à ses d&eactue;pens parfois! La jeune fille de son village reste son rêve. Il vient de trés loin la prendre. Son expérience, sa richesse, comme son prestige d'émigré, lui permettent de choisir une jeune fille bien moins âgée que lui. Parfois les différences sont effrayantes: le mari pourrait être, dans certains cas, le frère aîné de quelque 15 ans ou même le propre père de la jeune épouse!...

Mais l'émigré prend femme et s'en va, ce qui décongestionne le village d'un nombre respectable de jeunes filles et contribue à résoudre un problème social auquel d'autres milieux ne savent comment remédier. A Hadeth, sauf de rares exceptions, les jeunes filles trouvent à se marier à un âge peu avancé.

Il est, par ailleurs, un fait curieux à leur égard: les jeunes filles mariées en dehors du village sont nombreuses, alors que les jeunes gens de Hadeth mariés à des étrangères sont rares. Le rapport est de 17 à 5. Les jeunes gens dont les parents habitent la ville depuis un certain temps trouvent que la jeune fille de leur nouveau milieu est trop évoluée pour être une épouse idéale. C'est pourquoi ils reviennent au village trouver la compagne de leur goût. Pour la même raison les villageois évitent de se marier avec des citadines...

Notons enfin qu'il y a moins de jeunes veufs que de jeunes veuves à Hadeth. Le rapport est de 6 à 10. Ceci provient sans doute de ce que l'homme trouve facilement à se remarier avec une jeune fille. Un certain discrédit entoure la veuve jusqu'à présent dans ce milieu traditionaliste.

D'ailleurs, sans changer quoi que ce soit dans l'expression de la conduite extéricure, la venue d'un fils est saluée avec plus d'enthousiasme que celle d'une fille. Il serait plus vrai que cynique de remarquer à ce propos que les brèches pratiquées par la guerre 1914-18 sont plus grades du côté féminin que du côté masculin et ceci proviendrait de ce que les parents se sacrifiaient davantitge pour conserver un fils que pour préserver une fille de la mort! . . . Un psychanalyste, observateur des profondeurs du subconscient humain, serait sans doute meilleur juge en la matière. Nous nous bornons à une description objective de l'homme et de la société. Nous ne formulons de jugements que là où il semble qu'ils soient indispensables à la compréhension de notre sujet.